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Les conditions de travail, une question de politique
SERGE VOLKOFF (LES VERTS)

Peut-être ne le dit-on pas assez : notre pays, depuis bien longtemps, est un terroir de mauvaises conditions de travail. Il se distingue en cela de beaucoup d'autres pays industrialisés. Plusieurs indicateurs en témoignent. L'écart d'espérance de vie entre catégories sociales est très supérieur à celui que l'on constate dans les autres pays d'Europe - or on a pu établir que les contraintes et les expositions liées au travail sont une des causes de la mortalité différentielle. Les résultats des enquêtes européennes sur les conditions de travail situent la France dans les dernières positions pour la plupart des facteurs de pénibilité ; seule la Grèce présente systématiquement une situation encore moins bonne. Quant au nombre assez faible de maladies professionnelles reconnues en France, il n'est en rien rassurant. Il témoigne au contraire de pratiques restrictives de la part des médecins (qui déclarent peu ces pathologies, faute de bien connaître les relations entre travail et santé) et des caisses d'assurance maladie (qui les reconnaissent peu, parce qu'elles veillent à la dépense), d'où une grosse difficulté à regarder en face les enjeux de la prévention en milieu de travail. Ajoutons encore la pratique des pré-retraites, plus massive dans notre pays que dans d'autres. Ces départs anticipés sont certes justifiés pour les personnes qui ont vécu un parcours professionnel pénible. Mais précisément ce n'est pas un hasard si, dans un pays où les conditions de travail sont globalement dures, le recours aux pré-retraites s'est largement développé ; en France le taux d'emploi des quinquagénaires est le plus bas d'Europe - le chômage des âgés prenant peu à peu la relève des pré-retraites, jugées trop coûteuses.

On pourrait se demander à quels traits de notre tradition correspond cette préférence sociale pour une vie de travail brève, mais dure. Modèle politique centraliste, peu propice à l'action locale sur les situations de travail ? Exode rural massif et tardif (si l'on y inclut l'immigration) ? Emprise des idéaux de virilité ? Cette réflexion reste à mener, car la question des conditions de travail occupe en France une place assez modeste, dans la recherche scientifique comme dans les médias , dans l'éducation comme dans le débat politique. De nombreux professionnels, et militants syndicaux, ont déployé en ce domaine une activité inlassable mais avec une certaine sensation d'isolement, sauf pendant de rares périodes : le début des années 70 dans un contexte socio-politique très particulier ; le début des années 80 lors de la mise en place des « lois Auroux » avec les groupes d'expression (plus ou moins éteints depuis) et la création des CHS-CT dans les entreprises grandes ou moyennes ; et peut-être la période récente, comme l'ont montré certains conflits autour de la mise en place de la réduction du temps de travail. Le reste du temps, tout se passe comme si les conditions de travail étaient appelées à s'améliorer d'elles-mêmes, grâce au bon sens de chacun, grâce aussi au progrès technique et à la « tertiarisation de l'économie » qui devraient peu à peu faire disparaître les situations de travail les plus pénibles.

Or ce n'est pas ainsi que les choses se passent. A ce socle très français de contraintes fortes dans le travail, viennent s'ajouter, depuis quinze à vingt ans, les effets d'une évolution (à l'échelle internationale, cette fois), qu'on peut désigner sous le terme « d'intensification » . A tous les niveaux de la vie de travail, la pression du temps s'accentue. Les parcours professionnels sont marqués par la précarité, la mobilité plus ou moins volontaire, la polyvalence souvent mise en place de façon hâtive. Les horaires bizarres, atypiques, bousculés, imprévisibles, nocturnes, se répandent. Les actes de travail immédiats s'effectuent de plus en plus souvent avec des butées temporelles nombreuses et strictes. Des formes de contraintes de rythmes, naguère diversifiées selon les secteurs, tendent à s'entremêler et s'accumuler. Les ouvriers doivent toujours suivre la cadence d'une machine et respecter des normes de quantité mais, en plus, les exigences du client (qui veut un produit « personnalisé » et qui « ne peut attendre ») leur sont directement répercutées. De leur côté, les employés de commerce, les guichetiers, ou les personnels des hôpitaux, doivent toujours satisfaire le client qui se présente ou le malade qui appelle, mais en outre leur performance quotidienne est de plus en plus souvent évaluée numériquement (parfois par l'ordinateur). De part et d'autre se multiplient les incitations à accélérer, mais sans abandonner la qualité du service, ce qui souvent n'est pas conciliable.

Comment cette évolution se traduit-elle en termes de bien-être et de santé pour les hommes et les femmes au travail ? On peut répondre par une métaphore, empruntée au droit des relations professionnelles : il y a « délit d'entrave » au fonctionnement quotidien des individus et des collectifs. Aux atteintes directes à la santé, celles dues par exemple aux efforts physiques intenses ou à l'exposition aux toxiques, vient s'adjoindre une forme plus indirecte, non moins redoutable : la remise en cause des stratégies que chacun pourrait, par lui-même ou avec ses collègues, développer pour préserver et construire sa santé. Ces stratégies deviennent intenables quand les contraintes de temps s'entrecroisent. Dans ce contexte, les travailleurs (de toutes professions) peuvent aller jusqu'à brader leur santé, la qualité de leur travail, leur identité professionnelle, la possibilité même de tenir le coup. Et ces sacrifices se décident de façon de plus en plus individuelle. A chacun sa façon de réagir à « l'entrave ». On verra rarement un ensemble de salariés développer la même pathologie liée au travail intense , ressentir le même malaise, pendant la même période. Il y aura même des « intensifiés heureux », qui apprécieront, de façon plus ou moins durable, l'excitation d'un travail réclamant une mobilisation permanente, et qui y trouveront des moyens de s'exprimer, de se faire reconnaître, voire de se construire - une construction dont la fragilité sera parfois longue à apparaître.

Cette forte individualisation n'est pas propice à l'élaboration d'une réplique collective, d'une politique du travail. Comment « refabriquer du collectif », quand les conditions de travail tendent à essaimer les compromis élaborés par chacun ? Cette question est posée à la fois, en des termes divers, aux chercheurs, aux professionnels, aux politiques, aux militants syndicaux. Comment promouvoir une maîtrise sociale des conditions de travail ? Celles-ci ne se laissent pas facilement formaliser, réglementer, négocier. Bien des enjeux relèvent d'une action quotidienne locale mais très coordonnée, très vivace, une forme de démocratie sociale dans l'entreprise.

Il faudrait pour cela que deux conditions, apparemment divergentes, soient réunies. D'une part, que notre société s'inquiète davantage des conséquences (sociales, sanitaires, mais aussi écologiques, si l'on s'intéresse aux résultats « externes » de l'activité de production) de la pénibilité du travail, et de cette civilisation de la hâte qu'on érige à présent comme modèle. En même temps il faudrait que ces questions soient débattues de façon presque banale, usuelle, au même titre que bien d'autres questions sociales, au lieu de ce climat de crispation qui laisse perplexes les observateurs étrangers (voir les protestations des milieux patronaux quand il s'agit d'inclure une nouvelle maladie parmi les pathologies professionnelles reconnues, ou quand fut instauré le droit de retrait des situations dangereuses ; voir aussi les tensions considérables qui apparaissent autour des projets de réforme de la médecine du travail).

Les responsabilités pourraient alors être posées, à commencer par celles des dirigeants d'entreprises. Plusieurs recherches importantes en sciences de la gestion montrent que le travail est analysé comme une dépense, et jamais comme une ressource. Ce point de vue mérite d'être contesté, et dès lors c'est toute une conception de l'organisation du travail, de l'enrichissement des compétences, et de la préservation de la santé, qui peut se trouver reconstruite.

En ce qui concerne les représentants des salariés, ce n'est pas faire injure aux milliers de militants investis sur les conditions de travail, que de rappeler la position de second rang qu'occupe ce thème dans les orientations des syndicats. Les autres militants écoutent et applaudissent ces « spécialistes » avec beaucoup de respect dans les congrès, mais il est rare que s'engagent ensuite des actions durables, portées par l'ensemble de l'organisation (on a dit cependant que ce jugement méritait d'être un peu rectifié, dans la période récente).

Reste la question de l'intervention des pouvoirs publics. Pour partie, celle-ci peut porter directement sur la santé et la sécurité au travail (et le nombre très réduit d'inspecteurs et contrôleurs du travail ne facilité évidemment pas l'action dans ce domaine). Mais il faudrait surtout que soient prises en compte les questions de santé au travail dans d'autres domaines de décision politique. C'est vrai pour la réduction du temps de travail : où a-t-on vu une incitation de l'Etat à ce que les questions de conditions de travail soient prises en compte dans la mise en oeuvre des lois Robien ou Aubry ? Et cela sera peut-être vrai aussi à propos du débat sur les retraites : va-t-on mettre en place un dispositif qui permette de prendre correctement en compte la diversité des parcours professionnels, en termes de pénibilité et d'usure ? S'il faut revenir sur les pré-retraites, favoriser l'allongement de la vie professionnelle, il faudra à la fois ouvrir des droits spécifiques à des départs anticipés pour les salariés qui auront été les plus sollicités, et rendre le travail vivable pour les anciens qui demeurent en place. Cela permettra d'ailleurs de remédier aussi à l'insatisfaction, de plus en plus palpable, manifestée par de nombreux jeunes. La menace de « pénuries de main-d'œuvre » pourrait alors avoir une conséquence bénéfique : replacer les conditions de travail au cœur de l'action politique.

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